PARADOXE : EN France, PAYS DES LIBERTÉS, IL N’Y A PAS « UN DROIT DE GRÈVE », IL Y A DU BRICOLAGE JURIDIQUE ET DES PRATIQUES PLUS OU MOINS « LÉGALES »
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ MAIS LA LIBERTÉ DE FAIRE GRÈVE EST TOUJOURS TRÈS ENCADRÉE ET MAL DÉFINIE
On pourrait croire que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et sa définition de la liberté ouvrait la voie au droit de grève. Il l’ouvre mais la referme puisque la grève, en général, nuit à autrui et donc est bannie.
En effet, la Déclaration des droits de l’homme (1789) ne grave pas dans le marbre un quelconque droit de faire grève ou droit de grève : liberté d’association n’est pas le droit de grève, surtout que cette liberté d’association est restée longtemps très limitée.
Reprenons les textes.
Article 2 Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
Article 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
Article 5. La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Le préambule de la Constitution de 1946 est repris dans la Constitution de 1958 mais dans un texte qui n’est n’est guère plus explicite.
« 7. Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » (extrait de ce fameux préambule de la Constitution de 1946).
Il y a bien donc bien un droit mais réglementé et règlementable ...mais sans limite? Il est donc possible de justement le réglementer à tout va de façon telle qu’il puisse perdre sa force et son fondement même.
Il n’est pas un droit imprescriptible, fondamental. Il n’ouvre aucun droit individuel. Il n’est pas proclamé un exercice libre du droit de grève ou de faire grève.
D’ailleurs il est important de souligner que les droits acquis dans la déclaration de l’homme et du citoyen ont été votés en 1789 mais que les lois dites LE CHAPELIER votées les 22 mai et 14 juin 1791 et le décret du 17 juin 1791 « relatif aux assemblées d’ouvriers et artisans de même état et profession » interdisent les coalitions de métiers et grèves. Ces textes ont eu la vie dure puisque même la Constitution de 1946 ne les abroge pas expressément.
Depuis cette interdiction de 1791 et malgré la venue du monde industriel et du droit d’association l’exercice d’un droit de grève a été seulement toléré mais non codifié.
IL FAUT S'ACCOMMODER AVEC CE VIDE JURIDIQUE ET À DES GRÈVES DE NATURE TRÈS DIFFÉRENTES.
UNE DÉFINITION DE LA GRÈVE N’EST INTERVENUE QU’AVEC LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION QUI A ELLE-MÊME SES LIMITES.
En réalité, il en est comme en matière de définition du contrat de travail, le législateur n’a pas osé s’aventurer à définir la GRÈVE depuis 1789 jusqu’à nos jours.
Il faut dire que la « grève » dont le terme rappelle les horreurs terroristes de la Révolution est un mauvais souvenir : celui du nom de la place où la guillotine a sévi.
Il faut attendre un arrêt de la Cour de Cassation du 2 février 2006 pour avoir une définition contestable de la grève :
"La cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l'employeur des revendications professionnelles."
C’est donc la jurisprudence et non une loi qui définit la grève.
Chacun sait que la jurisprudence est dite « constante » mais qu’elle peut varier du jour au lendemain comme d’ailleurs la forme des grèves qui peuvent être insurrectionnelles, politiques, revendicatives, locales, nationales, catégorielles, ...
Donc, le législateur a repris la main pour faire des lois circonstancielles pour restreindre non les causes mais les conséquences des grèves qui nuisent à autrui donc sont condamnables car préjudicielles à l’individu, à la continuité du service public, à des obligations ou statuts spécifiques : militaires, certains autres fonctionnaires et agents des services publics, droit de réquisition...
Il n’y a pas une grève, il y a des grèves et la preuve en est avec aujourd’hui le télétravail permet au salarié de faire ou ne pas faire grève dans son fauteuil chez lui.
On voit bien que la définition de la grève ci-dessus est trop restrictive et dépassée.
Cette grève du 19 janvier 2023 n’est donc pas une grève du type défini par la jurisprudence mais elle est plutôt un mouvement à connotation politique, une pression sur le Parlement qui doit statuer sur la « réforme des retraites »,
La rue contre la représentation nationale, ce n’est pas trop démocratique.