Groupe Vendéen
d’Études Préhistoriques
2009 - 45
I.S.S.N. 0753 - 4736
Cliché P. Birocheau – GVEP - 2009
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
4
UNE ARCHÉOLOGIE DES PÊCHERIES D’ESTRAN
L’ANSE AUX MOINES ET LA POINTE DU VIEUX MOULIN
AU CHÂTEAU-D’OLONNE EN VENDÉE
par Jean-Marc LARGE, Patrice BIROCHEAU, Sophie CORSON, Florian COUSSEAU,
Colin LARGE et Jean-Pierre TORTUYAUX
Résumé :
En Vendée, les pêcheries d’estran sont des écluses à poissons réalisées par des particuliers qui n’étaient pas marins de
profession. Il s’agissait plutôt de cultivateurs qui « récoltaient » le poisson par ce moyen judicieux mais très destructeur
sur le plan de la biodiversité. Cette activité a complètement cessé en 1990 par abandon progressif suite à une décision
ministérielle. Depuis que les textes réglementaires sont connus, le pouvoir central n’a cessé de contester l’utilisation d’un
espace qui lui appartenait. Les pêcheries sont en effet installées sur l’estran qui a toujours été un domaine public. De
plus, les tensions ont toujours été vives entre les « terriens » qui géraient ces espaces enclos et les marins qui leur
reprochaient une concurrence déloyale.
Ces architectures sans mortier sont actuellement soumises à la dégradation par la mer, par le tourisme et le regain de la
pêche côtière. Avant qu’elles ne disparaissent complètement, il nous a semblé nécessaire de compiler le maximum
d’informations à leur sujet. De plus, nos collègues normands et bretons, qui ont une bonne longueur d’avance sur nous
pour l’étude de ces structures, découvrent des pêcheries très anciennes, parfois préhistoriques. La technique mise en
oeuvre pour la réalisation des murs et des pertuis n’est effectivement pas complexe et était vraisemblablement à la portée
des hommes de la Préhistoire récente (Néolithique et Protohistoire). Cela nécessitait surtout des moyens humains et une
bonne connaissance des estrans.
Mots-clés
: pêcherie, écluse à poissons, Préhistoire, Médiéval, Vendée
1. LE PROJET ALERT1
Le projet ALERT est né d’une
initiative de l’UMR 6566 du CNRS de
Rennes sous la coordination de Marie-Yvane
Daire. Développé sur trois régions (Basse-
Normandie, Bretagne et Pays de la Loire), il
regroupe un ensemble de chercheurs
professionnels et bénévoles compétents en
patrimoine naturel et culturel. Il a comme
objectif essentiel de faire prendre conscience
auprès des « utilisateurs » du littoral de
l’importance du patrimoine culturel. Or, ce
patrimoine est très fragilisé, voire menacé.
L’érosion du littoral par la remontée du
niveau marin et par les actions
d’aménagement dues à l’homme provoque
une modification importante d’espaces qui ont
connu des occupations humaines de la
Préhistoire à nos jours. Les zones les plus
1
ALERT : Archéologie Littorale Et Réchauffement
Terrestre.
sensibles sont celles comprises entre la partie
de terre découverte à marée basse et le trait
côtier, en incluant celui-ci. En Vendée comme
ailleurs, elles contiennent des vestiges de la
Préhistoire ancienne (Brétignolles-sur-Mer :
plage de la Parée et Marais Girard – la
Normandelière, Noirmoutier : Pointe St-
Mathieu), de la Préhistoire récente (La
Tranche-sur-Mer : Pointe du Grouin du Cou ;
Longeville-sur-Mer : Plage du Rocher ; St-
Vincent-sur-Jard : Bélesbat ; Jard-sur-Mer : le
Paradis-aux-Ânes, la Pointe du Payré ;
Talmont-St-Hilaire : le Veillon, l’Anse de la
République ; Le Château-d’Olonne : le Bois
de St-Jean ; Les Sables-d’Olonne : plage ;
Olonne-sur-Mer : Sauveterre ; Brétignollessur-
Mer : Marais Girard, Grand-Rocher,
Bâtard, Petit-Rocher…)
2, de l’Antiquité
(Talmont-St-Hilaire : le Veillon), du Moyen
Âge.
2
Pour ne citer que les sites les plus connus.
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
5
2. LES PÊCHERIES OU ÉCLUSES À
POISSONS
Parmi cet ensemble de sites dont la
majeure partie est répertoriée
3, les écluses à
poissons, aussi appelées pêcheries, n’avaient
pas fait l’objet d’un inventaire exhaustif. Or,
si certaines sont d’un âge récent, d’autres sont
vraisemblablement plus anciennes à l’instar
de certaines découvertes de nos collègues
normands, datées de l’Âge du bronze. Pour
s’en convaincre, quelques pêcheries de l’Iled’Yeu
et de l’île de Noirmoutier sont toujours
submergées même à marée basse de fort
coefficient
4. Elles devaient être fonctionnelles
lors d’une période où le niveau de la mer était
plus bas que l’actuel. Or, si l’on observe les
courbes des niveaux marins à notre
disposition (M. Ters, D. Prigent, C. Scarre…),
le niveau actuel s’observe
grosso mododès
l’Antiquité. On peut donc supposer un âge
ancien aux pêcheries qui n’émergent plus,
même à marée basse. Il s’agit essentiellement,
sur l’estran vendéen, de pêcheries réalisées en
pierre.
L’accent est donc mis ici sur des
structures dénommées « pêcheries »
5. Ce sont
des installations fixes destinées à piéger le
poisson. Sur le littoral, elles peuvent être en
pierre ou en bois, en assemblages de filets
montés sur des pieux ou des réservoirs de
poissons (Billard
et al.,2007). Ce sont les
3
Mais nous prolongeons actuellement l’inventaire de
façon à prendre en compte des sites nouveaux.
4
C’est en observant les clichés verticaux IGN que l’on
découvre ces traces, notamment ceux de 1951
(Noirmoutier) et de 1961 (Château-d’Olonne).
5
Parfois aussi appelées « parc à poissons ». Des
précisions ont été amenées par Loïc Langouët dans le
cadre de sa recherche en Bretagne «
Sur les côtes
bretonnes, il existait différentes sortes de pêcheries
fixes (…) :
l’écluse(…) ; il s’agissait d’une enceinte
souvent constituée de pierres, parfois renforcée de bois,
et comportant un pertuis de vidage, souvent une grille
ou un petit filet ;
le parc, synonyme de pêcherie s’il est
composé uniquement de pierres ; mais il existe des
parcs de bois et pierres, exclusivement situés dans les
estuaires fluvio-maritimes ;
le bouchot, parc en bois
entrelacé, nommé claye ou pêcherie de clayonnage,
généralement implanté sur les grèves plates, sableuses
ou vaseuses
» (Langouët et al.2008).
structures les plus visibles, les écluses en
pierre, qui font l’objet de ce premier article.
L’édification des ouvrages en pierre
exige un travail d’équipe considérable et une
bonne connaissance du bord de mer.
Essentiellement activité complémentaire pour
les « terriens », cette pratique connut une
grande importance pour l’alimentation des
populations locales
6. Les pêcheries en pierre
s’étendent sur l’ensemble du littoral vendéen.
Sur les platiers rocheux, réalisées en roches
locales disponibles sur place (Sud-Vendée,
Aunis et Saintonge), elles pouvaient être de
grande dimension (La Tranche : le Grouin du
Cou), en forme de fer à cheval, les bras
remontant en s’amenuisant en hauteur vers le
rivage. En revanche, sur le substrat primaire,
granitique ou schisteux, les élévations
naturelles des roches ont permis l’appui de
l’extrémité des murs. Quelques pierres étaient
parfois nécessaires pour parfaire le niveau de
l’ensemble. Ces écluses étaient de faible
longueur et de formes diverses, utilisant au
mieux les accidents du terrain (Mornet,
inédit).
On ne trouve pas en Vendée d’écluses
en pierre en forme de V, même sur l’île de
Noirmoutier, alors qu’elles sont assez
fréquentes dans le nord de la baie de
Bourgneuf (La Bernerie-en-Retz).
Certaines pêcheries étaient construites
sur la partie haute de l’estran, permettant la
pêche à fort coefficient de marée. Mais la
majorité ne permettait l’accès et la pêche qu’à
des coefficients se situant entre 60 et 80
(Mornet, communication personnelle).
Le mode de construction résulte d’un
savoir-faire ancestral permettant une bonne
tenue de l’édifice et semble n’avoir que peu
6
Dans la recensement de 1855, sur 78 professions
répertoriées au quartier des Sables-d’Olonne, il y avait
1 carrier, 1 tailleur de pierres, 63 cultivateurs
propriétaires et 11 propriétaires. À Noirmoutier, en
1908, il y avait 85 inscrits maritimes ou veuves,
69 cultivateurs, 4 meuniers, 1 maçon, 2 caboteurs,
1 menuisier et 21 propriétaires.
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
6
évolué au fil du temps. Il a été codifié en
1681 : «
Les parcs de pierre seront construits
de pierres, rangées en demi-cercle et élevées
à la hauteur de 4 pieds (~ 1,20 m) au plus,
sans chaux, ciment ni maçonnerie. Les portes
d’une largeur de 2 pieds devront être munies
de grille en bois, ayant des trous en forme de
maille, d’un pouce au carré depuis la Saint
Remi (1er octobre à l’époque) jusqu’à Pâques
et de 2 pouces de Pâques à la Saint Remi
»7.
L’utilisation de mortier pour lier les
pierres était interdite afin de faciliter la
destruction de l’ouvrage en cas de retrait de la
concession. Il est connu que rigidifier un mur
l’aurait amené à être détruit rapidement par
les vibrations provoquées par la houle. Il était
également précisé qu’en cas de naufrage, le
mur devait céder et non le bateau.
Le maillage des grilles se justifiait
quant à lui par la préservation des espèces
pêchées.
Au XIX
esiècle, des autorisations
furent données par les Ponts-et-Chaussées,
permettant une plus grande élévation des
murs (Mornet 1996). Deux rangées de grosses
pierres, placées debout sur le substrat, la
plupart du temps rocheux, marquaient la base
du mur. Elles étaient sélectionnées et ajustées
avec précision. Il était parfois nécessaire de
débiter de la roche alentour pour obtenir le
matériau approprié. En effet, les pierres de
type « galets », arrondies, étaient inutilisables
car elles se seraient déplacées en glissant
l’une sur l’autre. Les ânes, chevaux ou même
boeufs étaient une aide précieuse pour
acheminer les pierres (Mornet,
communication personnelle). Ces deux
rangées, espacées de 2,5 à 3,5 m (Mornet
1996), étaient élevées en forme de voûte.
L’espace central était comblé au fur et à
mesure de l’élévation par des pierres plus
7
Grande ordonnance marine de Colbert d’août 1681.
En fait, selon les régions et les matériaux employés, les
techniques de construction peuvent être assez variées.
Les procédés de montage des murs au Châteaud’Olonne
sont techniquement très différents de ceux
utilisés à Noirmoutier, par exemple.
petites qui se calaient sous l’effet du courant
de marée, solidifiant ainsi l’ensemble. Le
sommet des murs devait être horizontal pour
éviter la fuite des poissons et faciliter le
déplacement des pêcheurs. Les murs
comportaient une ou plusieurs portes appelées
pertuis
8. Les ouvertures pouvaient prendre
toute la hauteur du mur ou bien avoir la forme
de tunnels à la base de celui-ci, pontés avec
des pierres plates.
Les grilles étaient constituées de bois
de jeunes châtaigniers d’une section d’environ
4 cm appelés « clisses ». Ces clisses étaient
pointées sur des poutres boulonnées à des
traverses métalliques enchâssées dans les
murs de l’écluse. Au XX
esiècle, en effet,
l’utilisation de rails de chemin de fer était
fréquente.
L’intérieur de l’enclos était aménagé
pour favoriser la venue du poisson et son
ramassage à marée basse. Des surplombs
aménagés avec des gros blocs formaient des
abris. Des dallages de pierres rendaient la
capture des prises plus facile. L’existence
d’un trou d’eau était obligatoire, à l’arrière du
mur, afin de sauvegarder les alevins à marée
basse.
L’exploitation des pêcheries fut
interdite en 1990 et, hormis celle de la
Paracou aux Sables-d’Olonne
9, il ne reste que
des ruines de ce passé maritime. Dès l’arrêt de
leur utilisation, la mer et l’exploitation
touristique ont fait leur oeuvre en les
détruisant et il ne reste plus guère que le
soubassement des rangées parallèles de pierre.
Liés aux pêcheries, il reste parfois des
éléments de petites bâtisses qui servaient
8
Ouverture par laquelle l'eau passe de la mer dans le
biez à marée montante (et inversement à marée
descendante). Pertuis est le mot retenu par nos
collègues bretons. Localement, au sud de la Loire, c’est
le terme « claye » qui est employé (en poitevin, une
claye est une petite porte) mais on connaît aussi le
terme de « bouchot ». Le biez est la partie enclose par la
pêcherie.
9
Toutefois, cette pêcherie est une reconstitution
entièrement bétonnée à partir d’une écluse plus
ancienne.
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
7
d’abri aux pêcheurs. L’accélération du
mouvement érosif lié à un épisode
transgressif et le surinvestissement touristique
risquent d’anéantir ces traces.
Des interventions, peut-être même
urgentes, sont nécessaires. Se pose alors le
problème de compétence en la matière et par
là l’octroi de moyens pour les réaliser…
3. DES PÊCHERIES ET DES LOIS…
Le 18 septembre 1855, la Marine
impériale établit un inventaire des réservoirs à
poissons, des pêcheries en pierre et des
établissements coquilliers. Sur la côte
vendéenne, comme sur le reste du littoral, les
écluses à poissons vont être décrites selon leur
nom, la nature de la pêche, leur forme, leur
étendue, leur situation avec le nom, la
profession et le domicile des détenteurs. Cet
inventaire est destiné à légiférer de manière
claire sur l’utilisation d’un domaine qui est
considéré comme public depuis l’Édit de
Moulins de 1566 qui en institue par ailleurs
l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité.
Le 23 décembre de l’année suivante, la
circulaire du ministre de la Marine destinée
aux préfets maritimes est alors publiée au
Bulletin officiel
10. Elle a pour but, entre
autres, de donner des arguments face à un
certain nombre de protestations vis-à-vis de
l’administration quant à l’application de la loi
du 21 février 1852. Dès que les eaux sont
salines
11, une autorisation spéciale décernée
par le ministre de la Marine est nécessaire
pour exploiter les pêcheries : «
il est de
principe que la mer et les rivages font partie
du domaine public, dont l’usage est à tous et
la propriété à personne : la pêche y doit être
libre et commune à tous, sans impôt ni
redevance et sans autres restrictions que les
lois de police faites pour en réglementer
10
Bulletin officiel n° 38.1856.
11
Le débat sur la cessation de salure des eaux dans les
fleuves a été très virulent à l’époque entre les ministres
de la Mer et des Finances. Il s’agissait pour les autorités
de déterminer ce qui ressort ou non de l’inscription
maritime (Archives de la Vendée AV/S 829).
l’exercice. Les pêcheries sédentaires
recueillent le poisson et le frai, elles le
soustraient à l’exercice de la pêche libre pour
le nourrir et le conserver dans des réservoirs
alimentés par l’eau de mer. Elles approprient
au profit de quelques-uns des choses de la
mer qui doivent être à la disposition de tous et
constituent une atteinte aux principes qui
régissent le domaine public. Leur
établissement ne peut être qu’à titre précaire
et révocable
».
Cette circulaire fait le point sur un
certain nombre de dispositifs légaux qui se
sont progressivement mis en place afin de
légiférer sur la gestion de l’espace public
maritime. Il semble que dès 1566 des abus par
rapport aux concessions domaniales avaient
été constatés et nécessitaient une intervention
du roi pour contrer ce qui était alors considéré
comme des usurpations. Par l’édit de mars
1584, Henri III tente d’organiser l’ensemble
des activités maritimes. Concernant la pêche
en mer et les parcs et pêcheries construites sur
les bords des grèves de la mer, dans les baies
et aux embouchures de rivières, ces pêcheries
pouvaient nuire aux intérêts de la navigation
et de la pêche. L’article 4 de l’édit précise :
«
Avons ordonné que tous les dits parcs et
pêcheries faites ou construites depuis 40 ans
au bord des grèves de la mer et rivières y
entrant seront démolies et abattues, et les
propriétaires déchargés de rentes et
redevances qui nous en pourront devoir ou à
quelqu’autres seigneurs …
».
Pourtant, plus d’un siècle plus tard, il
faudra que de nouvelles mesures soient prises
afin de faire cesser les usurpations entreprises
sur le domaine public maritime. Par
l’ordonnance d’août 1681, Louis XIV décide
alors :
« les parcs dans les constructions
desquels il entrera bois ou pierre seront
démolis, à la réserve de ceux bâtis avant 1544
dans la jouissance desquels les possesseurs
seront maintenus
12 » et «faisons défense à
12
Livre V, titre III, article 4. Le littoral n’est pas
complètement devenu public en 1566. Ceux qui
pouvaient se prévaloir de titres de propriété antérieurs à
1544 ont pu conserver jusqu’à aujourd’hui leur
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
8
toutes personnes de bâtir ci-après sur les
grèves, aucuns parcs dans lesquels il entre
bois ou pierre à peine de 300 livres d’amende
et démolition à leurs frais13
». Un des
objectifs nouveaux qui apparaît alors est de ne
pas faire de concurrence aux pêcheurs
14qui
« supportent les lourdes charges de
l’inscription ».
Cela ne semble pas freiner l’ardeur des
pêcheurs à pied qui vont continuer à
construire et surtout à exploiter les écluses à
poissons. Louis XV sera obligé de créer par
un arrêt une commission pour vérifier
l’origine et la régularité des titres et des
détenteurs
15. Puis, une douzaine d’années plus
tard, ce même Louis XV intervient de
nouveau pour, cette fois-ci, calmer l’ardeur de
la répression : «
les procès-verbaux de cette
commission seront soumis à l’approbation du
roi, qui ne devrait être accordée, même aux
concessions régulières et conformes à
l’ordonnance de 1681, qu’autant que les
besoins de la navigation et de la pêche n’en
exigeraient pas la suppression16
».
pêcherie, ce qui représente la seule exception juridique
à la législation sur le Domaine Public Maritime. Bon
nombre d’écluses des côtes vendéennes ont conservé ce
statut de propriété privée sur le Domaine Public
Maritime jusqu’au XXe siècle (par héritage ou achat
par part). Ceci est loin d’être un détail puisque, dans ce
cas précis, les vestiges d’écluses en pierre inventoriées
sont très certainement d’origine médiévale comme on le
verra plus loin dans l’article (renseignement C. Billard).
13
Livre V, titre III, article 8.
14
Autres que les pêcheurs à pied. Ceux qui avaient un
bateau devaient être inscrits au registre maritime, ce qui
n’était pas le cas des pêcheurs à pied qui géraient les
écluses à poissons.
15
Arrêt du Conseil du 21 avril 1739.
16
Arrêt du Conseil du 24 janvier 1756. «De plus, tout
le long du littoral, la population se livre à la pêche du
poisson frais
(sic), soit au large, soit au moyen des
bouchots, sorte de réservoirs communiquant avec la
mer et formés de bois entrelacés en forme de claies.
D'autres emploient des parcs en pierre ayant l'aspect
d'un demi-cercle de 4 pieds de haut, avec une ouverture
vers la mer fermée de grilles en bois percées de trous
(sic)
. C'est ce qu'on nomme des écluses ou pêcheries.
Les ordonnances de la marine de 1683 et de 1684
avaient réglementé l'usage de ces réservoirs. Les arrêts
du Conseil du 22 mai 1732 et du 2 mai 1739, pour
empêcher la destruction du frai et du poisson de
premier âge, ordonnèrent la démolition de tous les
Il résulte donc que les seules pêcheries
dont l’existence peut être considérée comme
tolérée sont celles d’avant 1544 à condition
que la concession eut été sanctionnée par
l’approbation royale.
Au milieu du XIX
esiècle, l’État va
montrer sa volonté de reprise d’un territoire
qui continue d’être aménagé sans autorisation.
La loi du 9 janvier 1852 se veut être un
compromis acceptable entre l’État et une
population qui a entrepris d’exploiter l’estran.
Il s’agit de reconnaître des droits
«
légitimement acquis en ce qui concerne les
pêcheries établies sur le rivage maritime
17»
et, en contrepartie, d’établir une
réglementation nouvelle : il s’agira pour tout
exploitant à pied ou en embarcation d’être
inscrit aux Affaires maritimes. Toutefois,
cette loi passe mal auprès des « assujettis ».
Les agents du littoral reçoivent une vive
opposition. Le préfet de la Vendée veut
désamorcer cette tension en proposant
l’organisation de commissions pour recevoir
les réclamations et plaintes. Ces commissions
ont pour objectif aussi de formuler des
propositions. Elles se constituent à l’échelon
communal dans le but d’examiner les
pêcheries sédentaires situées sur le rivage de
la mer et indiquer celles dont il y aurait lieu
de proposer la destruction partielle ou totale.
Certaines écluses à poissons ont donc
été soumises à destruction (arrêtés du ministre
de la Marine des 8 juin et 15 novembre 1853).
Il semblerait que certaines communes
résistent (St-Michel-en-l’Herm, L’Aiguillonsur-
Mer, Triaize, Champagné-les-Marais,
Noirmoutier, Jard-sur-Mer, St-Vincent-sur-
Jard, Longeville-sur-Mer, La Tranche, St
parcs
situés sur les côtes du Bas-Poitou, dont on ne
pouvait représenter les titres de propriété. Quarante et
un parcs de pierre, gords ou écluses, furent ainsi
détruits en une année. On épargna ceux de l'évêque de
Luçon et du baron de Champagné, en les soumettant à
des prescriptions minutieuses relatives à la
composition, à la longueur, largeur et hauteur des
claies, et à la pose des filets
» (Louis Brochet (1902) -
La Vendée à travers les âges).
17
Lettre du 21 septembre 1852 du préfet de la Vendée
aux maires des communes littorales.
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
9
Hilaire-de-Talmont, Le Château-d’Olonne)
18.
En 1854, à Noirmoutier, 12 écluses sur 14
étaient presque entièrement démolies, elles le
seront à la fin du mois d’avril. Aux Sables, la
même année, 6 écluses avaient totalement
disparu, 15 étaient en cours de démolition et 9
étaient intactes. Il semble que la destruction
des écluses dans le département de la Vendée
a été plus difficile à réaliser que dans le
département de la Charente-Inférieure. La
population était apparemment peu désireuse
de voir détruire ce qui la faisait en partie
vivre
19. Pourtant, des poursuites étaient
prévues contre des détenteurs des pêcheries à
détruire. L’autorité admettait la destruction
simple de ces pêcheries, sans obligation de
ramener les pierres à l’intérieur des terres
20.
La population trouva parfois des alliés
jusque dans l’administration. Le sous-préfet
des Sables-d’Olonne est intervenu le 2 février
1854 auprès du préfet de la Vendée en ces
termes : «
Vous n’ignorez pas la position
toute précaire des habitants du littoral. Ces
écluses formées par la réunion des rochers
qui bordent la côte remontent pour la plupart
à une époque fort ancienne ou ont été
construites à grands frais ; leur produit est en
outre d’une faible importance et bien
qu’insuffisant pour donner lieu à un
commerce extérieur, il est cependant d’un
puissant secours pour l’alimentation de
familles nombreuses et presque toutes
voisines de l’indigence.
Sous le rapport des sauvetages, jusqu’à ce
jour, il est prouvé qu’aucune embarcation ne
s’est perdue sur les écluses, toutes peu
éloignées de la terre. En effet, avant d’y
18
St-Michel-en-l’Herm, Triaize et Champagné-les-
Marais ont cessé d’être des communes littorales avec
l’emprise progressive du Marais poitevin.
19
Lettre du 27 mars 1854 du préfet maritime de
Rochefort au préfet de Vendée (Archives de la Vendée
AV/S 829).
20
«En ce qui concerne les pierres provenant de la
démolition, les riverains ne seront point obligés de les
transporter hors des atteintes de la mer ; elles pourront
être laissées sur place, à la condition toutefois qu’elles
ne resteront point superposées et qu’elles seront
dispersées sur le sol. Cette mesure s’étend à toutes les
écluses dont la destruction a été ordonnée.
» (Lettre du
9 avril 1854 du préfet maritime au préfet de la Vendée).
toucher, un navire aurait déjà rencontré des
écueils où il se serait brisé à l’avance (c’est
là un fait généralement attesté mais dont je
puis garantir l’authenticité). Le résultat des
mesures ordonnées serait donc actuellement
d’indisposer des populations entièrement
dévouées au gouvernement impérial et
d’augmenter la misère déjà si grande dans
ces contrées…
Il est constant que les personnes auxquelles
les écluses appartiennent en éprouveraient un
préjudice considérable. Quel temps ne
faudrait-il pas pour l’exécution d’une telle
entreprise. Ces blocs de pierre liés et
consolidés entre eux ne pourraient être
enlevés et transportés sans danger pour les
hommes chargés du travail. La plupart sont
des journaliers qui vivent au jour le jour et il
en résulterait pour eux des frais
considérables qu’ils sont dans l’impossibilité
de supporter.
Loin de moi la pensée de contester un moment
l’opportunité de l’arrêté (…) Une usurpation
réelle avait eu lieu sur le littoral, aussi
devenait-il plus opportun que jamais de
prendre des mesures promptes et efficaces.
(Mes)
observations ont donc pour but de
rendre l’exécution moins rigoureuse. Je viens
vous prier de bien vouloir recommander à la
sollicitude de Sa Majesté l’Empereur les
demandes des maires et habitants. Vous savez
combien les circonstances actuelles sont
préjudiciables aux intérêts des classes
nécessiteuses. Le prix élevé des grains
préoccupe la population. Les infortunes
chaque jour plus nombreuses réclament des
secours de toute nature. Serait-il impossible
de faire droit aux réclamations qui s’élèvent
en différant jusqu’au 31 août prochain
l’exécution d’une mesure qui pour la seule
commune de La Tranche ne réduirait pas à la
mendicité moins de 15 pères de famille
auxquels leurs écluses offrent aujourd’hui des
moyens suffisants d’existence21
».
Les difficultés concernaient toutes les
catégories sociales qui se sont senties lésées
21
Lettre du 2 février 1854 du sous-préfet des Sablesd’Olonne
au préfet de la Vendée (Archives de la
Vendée AV/S 829).
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
10
par une législation contraignante. Des
résistances ont été portées devant les
tribunaux. C’est ainsi qu’en 1856, le maire de
St-Gilles a refusé de retirer les appareils de
fonctionnement de son réservoir à poissons. Il
n’obtiendra jamais gain de cause allant
jusqu’à la cassation
22…
Quelques communes vont organiser la
résistance en développant l’argumentation des
inconvénients liés à la destruction des
pêcheries en pierre. C’est ainsi que le maire
de La Tranche-sur-Mer transmet le 6 juin
1870 au préfet de la Vendée une supplique
dans laquelle il précise : «
depuis 1853, nos
écluses ou pêcheries ont complètement cessé
d’exister… Le varech si abondant fait défaut,
car il n’a plus d’obstacle ni d’abri et est
entraîné au large, le sable envahit les rochers
et détruit toute espèce de coquillages. Ce
varech était indispensable pour la culture de
nos nombreux jardins, sables à légumes,
notre seule ressource… Depuis que nous en
sommes privés, la misère n’a cessé de régner
parmi nous… À dater de 1853, époque à
jamais maudite, le manque complet de
varech, coquillages et poissons nous a causé
une perte annuelle d’au moins
25 000 francs… Pour obtenir cette
autorisation, l’administration a exigé de nous
des pièces et des plans qui nous ont
occasionné de grandes dépenses … et nous
n’avons rien pu obtenir
». L’administration
centrale refusera d’entendre les arguments des
locaux et continuera à avancer celui du danger
que représentent ces pêcheries de pierre pour
la navigation. Cet argument sera balayé par le
maire : «
il faut ne pas avoir visité les lieux
pour prétendre que la création de pêcheries
sera un danger pour la navigation
»,
reprenant à son compte le développement du
sous-préfet des Sables-d’Olonne.
En effet, les écluses à poissons sont
aussi des points d’attache du goémon si utile à
l’agriculture locale. En 1868, un décret porte
réglementation sur la récolte des herbes
marines dans la Manche et l’Océan. Il y est
22
Jurisprudence utilisée par le Ministère (Archives de
la Vendée AV/S 830).
précisé que deux récoltes annuelles sont
autorisées pour les personnes habitant la
commune, sur un espace d’estran limité par la
basse mer d’équinoxe. Il faut les extraire à
pied et de jour. Les dates sont fixées par
l’autorité municipale. Un article concerne la
propriété de ces herbes marines qui poussent à
l’extérieur des écluses à poissons : elles
appartiennent aux habitants de la commune
alors que les herbes marines qui poussent à
l’intérieur des parcs et dépôts de coquillages
appartiennent aux détenteurs de ces
établissements
23.
L’activité a cessé en 1990 par décret
mais l’arrêté du 24 mai 1965 en interdisait
déjà la création, le transfert et le
renouvellement. Ce texte a signifié l’abandon
de la pratique de la pêche côtière avec des
écluses à poissons. Ce fut l’extinction d’une
pratique coutumière…
4. L’ENSEMBLE DES PÊCHERIES DE
L’ANSE AUX MOINES ET DE LA
POINTE DU VIEUX MOULIN
Le travail réalisé en 2009 a consisté à
effectuer un relevé des pêcheries d’estran sur
un secteur géographique limité, la Pointe du
Vieux Moulin et l’Anse aux Moines, sur la
commune du Château-d’Olonne, dans le cadre
d'une politique de programmation scientifique
déclinée dans le projet ALERT (fig. 1). Sans
préjuger de ce qui peut se dégager de l’étude
qui ne fait que débuter, l’objectif est
d’apprécier au mieux l’ancienneté historique
(voire préhistorique) de telles structures très
menacées par l’érosion marine et touristique.
4-1. Problématique de la recherche
Les manifestations architecturales que
forment les pêcheries ou écluses à poissons
sont très peu renseignées sur leur ancienneté
et sur les méthodes de construction. Les
données historiques sont pourtant nombreuses
en raison du conflit constant entre le pouvoir
central et des particuliers qui usaient d’un
23
Décret du 8 février 1868.
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
11
droit qu’ils n’avaient pas (cf.
supra). Ces
données sont actuellement sous-exploitées.
Après avoir fait un premier recensement de
ces structures sur l’ensemble du littoral
vendéen (en 2008), il nous semblait judicieux
de prolonger cet inventaire en validant notre
démarche descriptive sur un secteur
géographique restreint. Les ensembles de
pêcheries repérées sur l’estran du Châteaud’Olonne,
à la Pointe du Vieux Moulin et à
l’Anse aux Moines, nous permettent
d’approcher une entité structurelle dans sa
diversité (même si elles ne semblent
fabriquées qu’en pierre) et dans sa
chronologie. La proximité de l’abbaye de
Saint-Jean-d’Orbestier nous laisse la
possibilité de bénéficier d’archives qui
peuvent caler les hypothèses évènementielles.
Une première phase de terrain a
permis d’évaluer les restes de ces pêcheries
qui ne sont plus utilisées. Un relèvement sur
plan de certaines d’entre elles a été réalisé, à
l’aide de prises de vues numériques verticales
par perche complétées par des prises de vues
obliques réalisées à partir d’un ULM. Un soin
tout particulier a été apporté à la lecture de
coupes verticales des structures qui
renseignent sur la technologie employée par
les pêcheurs pour construire les écluses. Les
niveaux de seuil des pertuis, quand ceux-ci
sont conservés, ont été mesurés avec précision
par rapport au zéro hydrographique
(SHOM)
24. Une analyse structurelle peut être
24
Le zéro hydrographiqueest le niveau de référence
commun aux cartes marines et aux annuaires de marée,
à partir duquel sont comptées les profondeurs portées
sur les cartes d'une part et les hauteurs d'eau résultant
des calculs de marée d'autre part.
Comme le zéro du nivellement terrestre, le zéro
hydrographique est défini par rapport à des repères
matériels, disposés au voisinage immédiat des
emplacements où ont été effectuées des observations de
marée.
Dans les ports, le zéro hydrographique est défini par sa
cote par rapport à des repères de nivellement appelés
repères de marée. Ces repères sont situés à proximité du
marégraphe
et sont en nombre suffisant et
suffisamment espacés pour éviter qu'ils puissent être
détruits simultanément, par exemple lors de travaux
portuaires. Ils sont cotés les uns par rapport aux autres
par nivellement géométrique, et ils sont rattachés si
ainsi développée en fonction des restes
disponibles. Une analyse de l’occupation
spatiale sur l’ensemble géographique retenu
sera proposée au terme de cette étude qui va
demander plusieurs années.
Parallèlement, une recherche en
archives est entreprise afin de déterminer
l’importance des ressources. Si cela est
possible, nous essaierons de trouver les
derniers témoins de l’utilisation
contemporaine de ces pêcheries.
Il s’agit de proposer un scénario
historique (préhistorique ?) de l’évolution
structurelle d’un secteur à partir d’un type
d’architecture fonctionnelle qui a nécessité
une main-d’oeuvre importante et un travail
d’entretien continu.
4-2. Les plus anciennes données connues
Si les indications d’ancienneté de la
mise en place des pêcheries en pierre sont peu
connues dans le département de la Vendée,
une analyse très poussée en Bretagne
méridionale permet d’établir une grande
probabilité pour que ces dernières aient existé
au moins dès l’Âge du fer (Langouët 2008).
possible au système altimétrique légal (NGF). Il
importe donc, pour garantir la meilleure conservation
possible des zéros adoptés, d'assurer une mise en place
judicieuse et durable d'un nombre suffisant de repères
d'altitude (3 au minimum).
Le repère de marée qui paraît présenter les meilleures
garanties de durabilité est appelé
repère fondamental.
En un lieu donné, dans les zones placées sous la
responsabilité de la France, les hydrographes se sont
toujours efforcés de choisir le zéro hydrographique de
telle façon que la hauteur d'eau disponible pour le
navigateur soit toujours au moins égale à la profondeur
portée sur les cartes (ou, en d'autres termes, que la
hauteur résultant des calculs de marée soit toujours
positive).
Le zéro hydrographique est ainsi voisin du niveau des
plus grandes basses mers, et le plus souvent au-dessous
(recommandation OHI).
(
http://www.shom.fr/fr_page/fr_act_oceano/RAM/RA
M_P1.htm
).
Aux Sables-d’Olonne, le zéro hydrographique est placé
à
-2,831 mpar rapport au 0 NGF (IGN 69).
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
12
Cette probabilité est aussi la nôtre dans la
mesure où certaines de ces écluses à poissons
sont entièrement sous les eaux, y compris aux
plus fortes marées basses, sur les sites du
Tambourin à Noirmoutier et sur la côte nord
de l’île d’Yeu (plage des Ovaires, la Petite
Conche, la pointe du Porteau, la pointe de
Gilberge et la Galiote). Cela signifierait en
première analyse leur grande ancienneté :
elles pouvaient être fonctionnelles alors que le
niveau marin était plus bas. Or ce dernier s’est
stabilisé au niveau actuel lors du début du
premier millénaire après J.-C.
Dans d’autres régions plus éloignées,
les indications d’ancienneté placent les
écluses à poissons dans des contextes très
anciens. Les recherches de nos collègues
normands livrent au moins deux pêcheries
datées de l’Âge du bronze ancien (vers
2000 av. J.-C.). Dans les régions anglosaxonnes,
les données chronologiques sont
bien plus anciennes puisque l’exploitation des
ressources côtières par les pêcheries d’estran
remonte au Mésolithique au Danemark avec
une intensification de la méthode au
Néolithique. D’autres régions d’Allemagne,
de Grande-Bretagne et d’Irlande livrent des
informations de même nature sur des
pêcheries qui, certes, sont construites en bois
(Daire et Langouët 2008). Il n’y a aucune
raison de supposer que les pêcheries en pierre
soient plus récentes dans la mesure où la
technique de construction en pierre sèche était
parfaitement maîtrisée dès le Néolithique
moyen dans nos régions, avec le mégalithisme
funéraire en particulier.
Il s’agit d’une hypothèse. La
confirmation pourrait nous en être donnée par
la présence d’éléments en bois conservés.
Seules les portes grillagées sous forme de
clayonnage présentes pour fermer les pertuis
pourraient nous donner cette précieuse
indication. Encore faudrait-il qu’elles soient
présentes. Cela nécessite un programme de
recherche qui associe des plongeurs sousmarins.
Ce programme est en cours de
discussion avec nos collègues de l’AVVAS
(Association vendéenne de vidéo et
d’archéologie subaquatique présidée par
Michel Rolland) et du CAPS (Club
archéologique de plongée subaquatique
présidé par Thierry Potonnier).
Mais, en ce qui concerne notre
recherche sur la Pointe du Vieux Moulin et
l’Anse aux Moines (fig. 1), c’est à la période
médiévale qu’il faut faire référence
25. En
effet, la proximité des restes de l’abbaye de
St-Jean-d’Orbestier (fig. 2), dont les routes et
chemins d’accès présents sur le cadastre
napoléonien arrivent directement sur nos deux
sites de référence (fig. 3), permet un lien
direct entre l’activité rurale autour de
l’abbaye et la mise en place des pêcheries
(Chauveau 2005)
26. Sa création remonte à
1107 dans un territoire désigné comme
« désert »
27mais, dès la deuxième moitié du
XI
esiècle, les pêcheries en pierre sur estran
étaient déjà signalées à proximité, notamment
dans le cartulaire de l’abbaye Sainte-Croix de
Talmond (Allais 1997)
28. La pêche dans ces
écluses devait être d’un bon rapport
puisqu’elle entrait dans les redevances en
nature que l’on destinait à l’abbé. Ce dernier
n’avait pas la demande légère en 1140
puisqu’il exigeait pas moins de cent dorades
et cent mulets alors que ces poissons n’étaient
pas des plus courants. C’est une indication de
la quantité de poissons que l’on pouvait
pêcher dans ces structures. La seiche aussi
entrait dans les redevances (Allais 1997). La
carte de C. Masse, établie en 1703 pour le
25
Cf. note 12 (supra).
26
Dès le début du XIIesiècle, la communauté religieuse
de Saint-Jean-d’Orbestier se voit attribuer une
population pour oeuvrer aux défrichements des zones
encore inexploitées. Elle s’installe certainement à
proximité ou sur les terres de l’abbaye. En cela, des
habitats ruraux sous la forme de hameaux ont pu être
établis dès le XII
esiècle, sans pour autant donner lieu à
un habitat groupé important.
27
Charte n° 1 du cartulaire de Saint-Jean-d’Orbestier :
… ego, Guillelmus, dux Aquitanorum et comes
Pictavensium dominusque Thalemundi, dedi et concessi
[…] locum Orbesterii, qui desertus erat, ad
edificandum locum oracionis et agende penitencie et ad
faciendam abbaciam.
28
Charte n° 6 du cartulaire de Sainte-Croix de Talmond
datée entre 1058 et 1074 : …
Praeterea et exclusas
maris
….
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
13
territoire autour des Sables-d’Olonne, ne
laisse pas de doute, les écluses y sont
dessinées entre l’Anse aux Moines et la
Pointe du Vieux Moulin (fig. 4). La liste des
pêcheries en pierre devant être démolies,
établie par François Le Masson du Parc lors
de ses inspections dans les années 1730
29,
donne quelques indications pour la commune
du Château-d’Olonne (tab. 1). Cinq écluses à
poissons ont été recensées et l’une d’entre
elles, située «
sur le dixmage du Prieuré »30
appartenait aux moines de l’abbaye de Saint-
Jean-d’Orbestier. Les autres ne sont pas
situées avec précision. Il y a donc une
ancienneté importante dans l’utilisation
d’architectures en pierre pour créer des
espaces de piégeage du poisson.
4-3. L’ensemble actuel de l’Anse aux
Moines et de la Pointe du Vieux Moulin
Les deux complexes de pêcheries sont
séparés par un goulet dans lequel débouche le
ruisseau du Puits Rochais, séparant les terres
attenantes à l’abbaye de Saint-Jeand’Orbestier,
à l’est, de celles du hameau de La
Pironnière, à l’ouest (fig. 3). Cette
embouchure est maintenant canalisée.
L’Anse aux Moines
Le vaste ensemble de pêcheries de
l’Anse aux Moines (fig. 5) est placé sur un
platier sablo-rocheux limité au sud par des
enrochements d’orientation est-ouest. Une
petite plage forme un accès aisé à la partie
occupée par les pêcheries. Le nom du lieu est
directement en lien avec l’abbaye très proche
(environ 600 m) et l’utilisation comme espace
réservé comme écluses à poissons est
mentionné sur la carte de Claude Masse au
début du XVII
esiècle. Dans les chartes du
cartulaire de Saint-Jean-d’Orbestier, les
écluses à poissons ne sont pas mentionnées
clairement. La production piscicole entre dans
les redevances mais sans que l’on sache
vraiment s’il s’agit des poissons pêchés en
mer ou des poissons prisonniers des écluses.
29
Arrêt du 2 mai 1739.
30
dixmage ou dismage: lieu assujetti à la dîme.
Toutefois, comme on l’a vu plus haut, les
écluses en pierre sont attestées dès le
XI
esiècle dans la région proche et il n’y a
aucune raison de penser qu’il en fut autrement
pour les écluses de l’Anse aux Moines.
Actuellement, deux systèmes
d’écluses sont perceptibles à marée basse. Le
premier (P 02) enclot complètement le bras de
mer compris entre la falaise continentale au
nord et la croupe rocheuse d’orientation estouest
au sud. Il est composé d’un unique mur
curviligne appuyé sur la roche. Le second
(P 03), sans doute très récent, est beaucoup
plus complexe car il prend appui directement
sur la croupe rocheuse qu’il enveloppe,
déterminant un biez très complexe car
composé de vasques parfois profondes
enclavées dans des roches émergeantes.
La pêcherie 02 (fig. 6 et 7) est
composée d’un mur unique d’une largeur
importante (de 3 à 3,50 m) qui est
actuellement écrêté sur presque toute sa
longueur (128 m). Seule la partie encore en
appui sur un léger relief de la roche est
préservée. Elle présente une altimétrie de
3,76 m NGF correspondant au point haut de la
partie actuelle. Quatre pertuis permettaient
l’écoulement de l’eau. Deux sont placés dans
la partie centrale de la courbe, les autres sont
disposés près des extrémités. Ils sont en partie
comblés et c’est l’érosion du mur qui permet
d’avoir une lecture à peu près claire de
certains de ces passages. La technique de
construction est celle que l’on rencontre dans
toutes les pêcheries du secteur (fig. 10), à
savoir une délimitation au sol par d’assez gros
blocs disposés de chant, jointifs, matérialisant
les deux façades (interne, vers le biez,
externe, vers la mer). Puis, une fois cette
assise posée, un premier niveau de bourrage
par des galets ou des moellons de plus petite
taille remplit l’espace délimité par les deux
façades. Ces dernières sont montées d’un
niveau par des blocs toujours disposés de
chant, placés dans les interstices des blocs
sous-jacents, avec, ensuite, bourrage interne.
Le montage de la façade se fait toujours en
fonction d’un fruit dont l’obliquité est assez
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
14
prononcée, de plus en plus lorsque l’on estime
qu’il est temps de rejoindre les deux façades.
Pour la matérialisation des pertuis, le conduit
est lui aussi délimité par des pierres disposées
de chant mais dont le montage successif est
vertical, sans fruit. Le secteur sud, très
dégradé, laisse apparaître une assise interne
de blocs disposés de chant (fig. 7, photo du
bas), indiquant une possible ancienneté de la
structure dont l’enveloppe actuelle englobe
cette partie plus ancienne. Il est donc
vraisemblable que la largeur actuelle du mur
de la pêcherie corresponde à une phase
récente de son utilisation. Auparavant, ce mur
devait être plus étroit. L’espace enclos (le
biez) est d’une surface d’environ 1 ha. Cette
pêcherie est l’une des plus grandes du littoral
au nord du Marais poitevin, ce qui correspond
à un usage collectif tout à fait en phase avec
l’esprit monacal de l’abbaye.
Village
Nombre de
pêcheries
Propriétaires Exploitants Observations
1 R.P. du prieuré de St-Jean-d’Orbestier Sur le dixmage du
prieuré
1 Sieur de Fouraville (ou de Souraville) Bordiers et fermiers
de sa terre
1 Dame de la Rudelière
Le
Châteaud’Olonne
2 Jacques Tortero et consorts
Tab. 1 : Le Château-d’Olonne (85) – Pêcheries recensées par François Le Masson du Parc dans les années 1730
(Boucard 1984). Ces pêcheries devaient être détruites.
Le positionnement de la pêcherie dans
l’Anse aux Moines permettait de remplir tout
ou partie du biez toute l’année, quel que soit
le coefficient de marée. La base du biez est en
effet sous le niveau des marées hautes de
mortes-eaux. La pêcherie était utilisable tout
le long de l’année, du moins à l’époque
actuelle.
La pêcherie 03, située sur la croupe
rocheuse, est de fabrication très récente car
l’on constate l’utilisation du béton et du fer
pour l’aménagement d’un pertuis et d’un bac
de collecte du poisson (fig. 8 et 9). Le mur
n’est pas continu. Des portions s’appuient sur
les roches les plus hautes, et forment un
espace enclos en forme de fer à cheval très
resserré. Le biez est composé de vasques qui
sont autant de pièges à poissons. Certaines
portions de mur sont bien conservées, car
mieux protégées des coups de boutoir de la
mer, par contre d’autres sont en état de
destruction presque totale mais laissent
entrevoir des coupes tout à fait pédagogiques
sur l’état de construction des murs de
pêcheries. Des pertuis sont placés sur le
pourtour sans que l’on sache le nombre exact.
L’un, d’une largeur de 1,10 m, était situé sur
un mur nord, au niveau de la baie. Un autre
était situé sur le côté sud, face à la mer dont il
a subi les assauts. Il ne reste qu’une barre de
fer signifiant son existence. Un troisième
d’une largeur de 0,70 m était disposé sur ce
côté. Plus à l’est, en revenant sur la roche
continentale, le long de cette façade sud, une
série de 3 poteaux en fer disposés en ligne
aménage un espace particulier (disposition
d’un filet ?).
Cette pêcherie n’est pas utilisable tout
le long de l’année. L’altitude du biez par
rapport au 0 hydrographique indique que
l’espace pouvait être ennoyé lors des marées
avec un coefficient au minimum de 65. On ne
pouvait l’utiliser que les deux tiers de l’année
environ.
La Pointe du Vieux Moulin
De l’autre côté de l’embouchure du
ruisseau du Puits Rochais, un vaste platier de
roches métamorphiques complexes, avec
présence de calcédoine en blocs tout à fait
importants, permet l’accroche de nombreuses
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
15
écluses à poissons en pierre sur deux niveaux
de l’estran (fig. 11). Ce platier forme une
pointe de rochers d’où émergent deux massifs
résiduels à fort relief. Découvert aux marées
basses, il forme un vaste espace disponible
pour l’accroche de murs de pêcheries qui sont
en appui sur des rochers naturels. Les
premières données aériennes permettant une
vision complète du dispositif de pêcheries
proviennent de clichés de l’IGN effectués en
1961. Dix pêcheries sont nettement
perceptibles. Actuellement, la situation est
telle que les pêcheries situées le plus haut sur
l’estran n’existent pratiquement plus. De la
pêcherie 04, il ne reste qu’un vestige de mur à
l’état de lambeau (fig. 13 et 14). Les
pêcheries 06 et 07 ne sont presque plus
visibles (fig. 25). Les restes d’un mur de
pêcherie entre les pêcheries 08 et 09 ont été
perçus lors de la prospection : il reste
quelques soubassements côté nord avec un
alignement visible de pierres disposées
parallèlement de chant. Il est parallèle au mur
formant la pêcherie 05 à quelque 15 m à l’est
de celui-ci. Il a été dénommé 05 bis (fig. 20).
Plus énigmatique, une ligne courbe à l’est des
pêcheries 05 et 05 bis est complètement
submergée, même à très grande marée basse
(fig. 21). S’agit-il d’un reste de pêcherie très
ancienne, alors que le niveau de la mer était
plus bas que l’actuel ? Sa courbure évoque en
effet un mur d’écluse. Il ne s’agit
vraisemblablement pas d’une formation
naturelle car l’axe général des diaclases de la
roche en place n’a rien à voir. Un autre reste
situé au sud-est de la pêcherie 10 est formé de
gros blocs disposés de chant sur une longueur
de quelques mètres (fig. 25). Il pose le
problème d’une construction antérieure à
celles qui sont connues sur la photo IGN de
1961. Nous avions remarqué aussi au niveau
de la pêcherie 12 l’emploi de blocs de taille
imposante pour construire un mur de pêcherie
sans mortier. Est-il possible qu’il s’agisse des
restes d’une technique ancienne de fabrication
alors que les dernières pêcheries encore en
place utilisent plus volontiers des moellons et
des galets de taille moyenne et nécessitent,
a
fortiori
, un montage structuré et méthodique
tel que décrit pour la pêcherie 02 de l’Anse au
Moines (
cf. supra) ? Des traces de
décaissement de blocs extraits du substrat
sont visibles près de la jonction des pêcheries
11 et 12 (fig. 28 en haut). Ce sont les témoins
de carrières qui permettaient d’obtenir de gros
blocs alors que, par la suite, ce sont surtout
des moellons et des galets qui ont servi au
montage des murs de pêcheries. Il est
vraisemblable que les murs encore visibles
actuellement aient été montés avec les pierres
d’anciennes écluses démolies, d’où la
difficulté de reconnaître des traces
antérieures.
Les écluses les mieux conservées sont
donc les pêcheries 08, 05, 09 et dans une
moindre mesure car plus exposées au ressac
les pêcheries 10, 11 et 13. La pêcherie 12 est
particulièrement mal en point. L’état de
dégradation des pêcheries permet de pouvoir
lire les techniques de construction selon
différentes phases. Par contre, en raison de
l’éboulement des murs, les pertuis sont
particulièrement difficiles à percevoir car ils
sont souvent enfouis dans une masse de
moellons quand ils n’ont pas entièrement
disparu. Nous n’avons pas retrouvé de traces
des grilles qui fermaient les pertuis.
La pêcherie 08 est facilement
accessible de la côte. C’est la première à
pouvoir être rejointe et c’est aussi la plus
grande en superficie de biez (4 500 m²). Le
mur de l’écluse a une forme très élégante,
faite de sinuosités qui rejoignent la roche en
place quand cette dernière est surélevée, sur
une longueur de 145 m (fig. 15). Le mur
s’appuie au nord-est sur une crête rocheuse
rectiligne de calcédoine, puis enserre un
massif rocheux en épousant sa limite avec la
mer. Le mur s’accroche au sud-est sur une
autre crête rectiligne de calcédoine. Sa
composition est identique à celle que l’on
retrouve sur l’ensemble du secteur : deux
lignes parallèles de pierres disposées de chant
servent de limites intérieure et extérieure. Un
bourrage de blocs est disposé entre les deux
lignes sur un niveau. Ensuite, le processus
continue en donnant un fruit interne et externe
jusqu’à ce que la courbure, haute de 1,30 m
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
16
au maximum, permette de joindre de manière
arrondie le sommet du mur. Deux pertuis ont
été repérés à la fois sur les clichés de 1961 et
lors de la prospection. Un seul a pu être
observé : la présence d’une barre de béton
servant de linteau signale un âge très récent à
l’écluse (fig. 18). Ce linteau s’appuie sur des
blocs naturels disposés de chant le long d’une
ligne orthogonale par rapport aux façades de
l’écluse. D’autres pierres plates formaient la
voûte du passage dont on ne connaît pas la
base.
La pêcherie 05 est un simple mur de
barrage qui s’appuie sur l’extrémité naturelle
(filons rectilignes de calcédoine) des deux
pêcheries 08 et 09 (fig. 19). Il a une longueur
de 30 m et présente un pertuis dans son tiers
nord-est formant un étroit couloir de 40 cm de
large sur une hauteur équivalente. La
construction du mur s’est faite selon les
techniques rencontrées dans les autres
pêcheries du secteur (
cf. supra). À une
quinzaine de mètres à l’est, d’un autre mur
parallèle ne subsiste qu’un reste extrêmement
réduit (pêcherie 05 bis – fig. 20). Elle a fait
l’objet d’un relevé pierre à pierre en raison de
sa dégradation très avancée. Sa longueur est
équivalente à la pêcherie 05 et un possible
passage a pu être aménagé au milieu du mur.
L’état de dégradation est tel qu’il est difficile
de le percevoir de manière convaincante.
La pêcherie 09 s’appuie sur une crête
de calcédoine au nord-est et vient rencontrer
le mur de la pêcherie 10 qui lui est antérieure
comme le démontre son appui. Comme pour
la 08, la pêcherie 09 a une forme curviligne
irrégulière, s’appuyant sur les rochers
émergents. Elle se développe sur un linéaire
de 140 m et détermine un biez d’environ
5 000 m². Deux pertuis probables sont situés
sur la partie est de la pêcherie, en direction du
large. L’un d’eux a une extrémité boursouflée
(fig. 24), ce qui peut permettre de disposer un
filet. La base de l’espace libéré est formée
d’une seule assise de pierres disposées de
chant.
La pêcherie 10, antérieure à la 09, a
une forme rectangulaire. Elle enclot une
surface de biez d’environ 3 200 m². Son état
de destruction est avancé et ne permet pas de
retrouver le ou les pertuis (fig. 26). C’est au
sud de cette dernière qu’un reste de mur
appareillé en gros blocs disposés de chant
témoigne d’une ancienne pêcherie qui a
presque complètement disparu (fig. 25). Sans
doute plus ancien encore, il témoigne d’une
technologie différente dans la fabrication des
écluses à poissons par l’utilisation de gros
blocs. Une partie de la pêcherie 12 présente
aussi ce type de construction.
La pêcherie 11 est un prolongement de
la 10, s’appuyant sur des rochers émergents.
Elle est aussi au contact de la pêcherie 12.
Très arasée, il n’a pas été possible de
retrouver le ou les pertuis (fig. 27). La surface
enclose est d’environ 2 500 m².
La pêcherie 12 prolonge la 11 et
détermine un espace d’environ 3 000 m².
Située sur la partie sud-ouest de la pointe, elle
a subi les assauts de la mer d’une manière
plus violente. Il est très difficile de retrouver
la base des parois de l’écluse mais la
disposition en files parallèles de pierres
disposées de chant montre bien
l’emplacement de celle-ci (fig. 28 et 29). Sa
partie sud-ouest, au contact d’un îlot
découvert à marée basse, est composée de
gros modules disposés sur une seule rangée.
La pêcherie 13 est dissociée de
l’ensemble des pêcheries 04 à 12. Elle se situe
sur une toute petite baie à l’ouest de la pointe
(fig. 30). Très arasée, elle a fait l’objet d’un
relevé pierre à pierre, ce qui a permis de
matérialiser deux phases dans sa construction.
Elle est formée d’un mur rectiligne d’une
trentaine de mètres. Ce mur a été doublé, côté
mer, par un autre dont la base est formée de
moellons plus petits. Un possible pertuis
devait se trouver au milieu du mur.
Quelques restes épars de murs des
pêcheries 06 et 07 sont encore perceptibles
sur le platier rocheux, en altimétrie plus haute
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
17
que les systèmes précédents, au sud de ces
derniers. Elles ont subi l’assaut de la mer et
n’auraient pas été repérées sans la photo IGN
de 1961.
Les pêcheries actuellement assez bien
conservées sont celles qui permettaient une
pêche continue tout le long de l’année
(pêcheries 08, 05, 05 bis, 09, 10, 11, 12 et 13).
Leur biez est constamment rempli, y compris
lors des plus basses marées. Il n’en était pas
de même pour les pêcheries presque
complètement détruites, disposées sur la
partie de l’estran rocheux le plus élevé sur la
pointe. Les pêcheries 04, 06 et 07 ne devaient
avoir qu’une activité périodique, utiles lors
des plus grandes marées alors que les
pêcheries en contrebas avaient leur mur
partiellement noyé lors des plus hautes
marées. Les pêcheries sur le haut d’estran
devaient donc permettre une activité réduite,
complémentaire des pêcheries basses.
Un essai de chronologie relative
Plusieurs phases de constructions de
pêcheries sont perceptibles à la Pointe du
Vieux Moulin. La première, très
hypothétique, concerne la mise en place d’un
barrage au large des pêcheries 05 et 05 bis. Sa
situation sous le niveau des plus basses mers
actuelles témoigne d’une construction
ancienne sans que l’on puisse en dire plus. Il
faudrait un travail de recherche subaquatique
pour se faire une idée plus précise sur la
réalité de cette pêcherie. La seconde concerne
les restes de pêcheries effectuées avec de gros
blocs disposés parallèlement de chant sur une
seule file. Ces restes se trouvent sur la
pêcherie 12 et au large de la 10. Le système
des pêcheries 10, 11 et 12 semble avoir été
monté ensuite. Les pêcheries 08 et 09 sont les
plus récentes. La pêcherie 09 s’appuie sur la
10. Pour les autres pêcheries, il est difficile
d’établir une chronologie, si ce n’est par la
technologie employée qui met en oeuvre des
écluses à paroi effectuée avec des pierres
coincées disposées de chant et bourrage
interne de galets et de moellons. Cela situe
ces constructions lors de la phase 3 sans que
l’on sache quelle est l’ancienneté de cette
technologie. L’utilisation du béton en lien
avec la mise en place d’un pertuis sur la
pêcherie 08 indique clairement que cette
technique de montage des murs était
employées jusqu’aux derniers moments de
leur utilisation récente. Cette remarque vaut
aussi pour la pêcherie 03 de l’Anse aux
Moines.
Si nous avons pu recueillir des
renseignements sur l’ancienneté des murs en
pierre au moins à partir du XI
esiècle, il n’est
pas certain que les écluses qui sont conservées
même partiellement aujourd’hui aient été
fabriquées sur l’emplacement des pêcheries
anciennes. Il est plus vraisemblable, comme
semblent le montrer les restes d’écluses en
gros modules, que les pêcheries anciennes
présentaient des dispositions tout à fait
différentes, tout en utilisant des techniques de
construction comparables. Toutefois, la
technique de parementation des deux parois
de l’écluse par des pierres disposées de chant
semble être une technique récente qui
réclamait un volume considérable de pierres
mais,
a contrario, ne nécessitait pas des
efforts violents de manipulation. L’entretien
de telles écluses en était donc facilité.
Un essai de classification
Suivant les propositions de M.-Y.
Daire et L. Langouët (2008), les pêcheries que
l’on rencontre à la Pointe du Vieux Moulin et
à l’Anse aux Moines sont toutes de type A ou
B, c’est-à-dire typique des pêcheries établies
dans les zones rocheuses. Il n’a jamais été mis
en évidence au sud du Pays de Retz de
pêcheries en « V » (type C) ou bien de barre
d’appui sur la côte (type D). Selon la
définition, le type A regroupe des rochers
émergents naturels (têtes de roche ou rives
rocheuses) adaptés en piège par un
aménagement limité généralement à une
structure rectiligne ou bien curviligne. Il est
implanté en des endroits de l’estran où la
pente et le reflux ont la même direction. Sur
l’aire étudiée, il barre une anse (Anse aux
Moines 02, Pointe du Vieux Moulin 05,
Groupe vendéen d’études préhistoriques, 2009, n° 45
18
05 bis, 13). Le pertuis est alors disposé dans
la partie centrale. Le type B est composé de
bassins de piégeage, délimités par plusieurs
barrages s’appuyant sur des rochers
émergents. Dans ce cas, le reflux s’opère dans
plusieurs directions, ce qui nécessite des
pertuis disposés dans plusieurs endroits. Sur