UNE DÉCISION QUI AFFAIBLIT ENCORE LE PARLEMENT DONC LA DÉMOCRATIE
QUI FAIT LA LOI ?
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https://www.olonnes.com/2024/01/une-loi-votee-promulguee-mais-caviardee-par-le-conseil-constitutionnel.html
Nous espérons que notre analyse des événements liés à l’élaboration de cette loi « immigration » pourra éclairer nos concitoyens sur une situation qui devient une crise politique et institutionnelle.
Si l’on prend les textes, il y a bien ambiguïté et donc possibilités de conflits dans les compétences en France pour faire la loi entre l’initiative du Chef du Gouvernement (exécutif) et initiative du Parlement (législatif).
Avec la Constitution de 1958 tout va bien...tant que le Président dispose de la majorité particulièrement à l’Assemblée Nationale mais si cette situation n’est pas réalisée c’est la « cohabitation » qui s’instaure et son risque de conflit législatif contre exécutif ...ainsi va la démocratie française !
Si l’on prend l’esprit de la Constitution pour l’élaboration et l’adoption d’une loi la prééminence du Parlement, émanation du peuple souverain est indubitable et, de cela, le Conseil Constitutionnel en a fait fi dans sa décision du 25 janvier 2024 concernant la loi d’immigration.
LA LOI AU PARCOURS CHAOTIQUE
Reprenons le débat au Sénat
https://www.dailymotion.com/video/x8peepa
Le Sénat a débuté lundi 6 novembre 2023 l'examen du projet de loi immigration.
À la tribune, la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie a accusé Gérald Darmanin de "ne pas être prêt". Elle a épinglé le "parcours chaotique du texte", puisqu’il a été déposé au Sénat en février 2022, examiné en commission des lois mais finalement désinscrit de l’ordre du jour après le séisme social et politique provoqué par la réforme des retraites. "Le gouvernement a déposé 28 amendements sans avis du Conseil d’État, sans étude d’impact. Aujourd’hui, à l’évidence, la succession des annonces montre que le texte n’est pas abouti", a estimé la socialiste.
CONFLIT DE COMPÉTENCE
Pour l’élaboration des lois, la Constitution de 1958 par son article 39 laisse la porte ouverte à un possible conflit de compétences entre le pouvoir exécutif (Président de la République et Gouvernement) et le pouvoir législatif (Parlement).
Rappelons que pour distinguer l’origine d’un texte présenté pour discussion et adoption au Parlement : il y a deux formules :
- un projet de loi qui émane du Gouvernement
- une proposition de loi qui émane des membres du Parlement (Sénat et Chambre des Députés)
Les articles 2 et 3 de la Constitution sont sans ambigüité : le « pouvoir » appartient au peuple souverain et « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La logique en démocratie est donc que l’origine des textes devait être majoritairement parlementaire. C'est loin d'être le cas !
Article 39 de la Constitution : risque de conflit exécutif législatif
« L'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. »
Remarquons déjà que le Président de la République n’a pas constitutionnellement d’initiative pour légiférer...c’est le gouvernement qui a cette compétence...sauf que le Président de la République « nomme » le Premier Ministre qui « dirige l’action du gouvernement »et le Président de la République « préside le Conseil des ministres ».
Article 41 de la Constitution
S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement ou le président de l'assemblée saisie peut opposer l'irrecevabilité.
En cas de désaccord entre le Gouvernement et le président de l'assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours.
CONCLUSION : LE PRÉSIDENT MACRON, AVEC LA COMPLICITÉ DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL, DÉTRUIT LA LOI IMMIGRATION ET L’ESPRIT DE LA CONSTITUTION
Tout allait à nouveau à peu près bien en décembre 2023 quand Gouvernement et Parlement après négociations avaient abouti à un accord qui a débouché sur le vote de la loi.
Tout a chaviré quand, passant au-dessus de cet accord qui avait abouti au vote de la loi, le Président MACRON a décidé avec la complicité de quelques élus de saisir le Conseil Constitutionnel alors que la Première Ministre était démissionnaire.
Nous estimons donc que la manœuvre du Président de la République constitue un précédent grave.
Nous espérons que cet abus de procédure étant une atteinte grave à la vie démocratique de la France ne constituera pas une jurisprudence et suggérons que le peuple français qui tient à sa démocratie puisse par référendum demander une modification de la Constitution qui redonnerait clairement sa suprématie à l’assemblée nationale pour l’adoption des lois.
Quelques extraits de la décision du Conseil Constitutionnel
Texte intégral
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/2023863DC.htm
Extraits
86. Dès lors, sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
- Sur la place de l’article 44 :
158. L’article 44 modifie l’article L. 222‑5 du code de l’action sociale et des familles afin de prévoir une exception à l’obligation de prise en charge par les services départementaux, dans le cadre d’un contrat jeune majeur, des majeurs de vingt et un ans précédemment confiés à l’aide sociale à l’enfance, lorsqu’ils ont fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français.
159. Les députés requérants soutiennent que cet article n’aurait pas sa place dans la loi au motif qu’il aurait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.
160. Introduites en première lecture, ces dispositions ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles précitées de l’article 10 du projet de loi initial. Le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution doit donc être écarté.
161. Il en résulte que l’article 44 (de la loi) a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution
- Sur la place de l’article 45 (de la constitution de 1958):
162. L’article 45 modifie l’article L. 221‑2‑4 du code de l’action sociale et des familles afin de prévoir que l’évaluation de la situation d’une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille est réalisée sur la base d’un cahier des charges national défini en concertation avec les départements.
163. Les députés requérants soutiennent que cet article n’aurait pas sa place dans la loi au motif qu’il aurait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.
164. Introduites en première lecture, ces dispositions relatives au régime d’aide et d’action sociales dont bénéficient certaines catégories de personnes vulnérables ne présentent de lien, même indirect, avec aucune des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.
165. Dès lors, sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
ARTICLE 45 de la Constitution sur lequel le Conseil Constitutionnel s’est fondé pour « caviarder » la loi
Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique. Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis.
Lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée sans que les Conférences des présidents s'y soient conjointement opposées, après une seule lecture par chacune d'entre elles, le Premier ministre ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion.
NOTRE POINT DE VUE
Nous ne pouvons pas être d’accord sur l’interprétation faite par le Conseil Constitutionnel qui, dans sa décision, a fait fi des débats et décisions du Parlement pour l’adoption des amendements.
Il ne peut être acceptable de « juger » que ces amendements adoptés par la Parlement et introduits dans le texte de loi étaient soi-disant sans aucun rapport avec l’objet de la loi (article 45 de la Constitution) qui était pourtant bien une loi dont l'objet était l’immigration ! La décision du Conseil Cpnstitutionnel n’est pas une décision prise purement en droit pur et dur concernant la constitutionnalité du texte de loi voté.
C’est une décision prise en fonction d’évènements où la politique et le politique interfèrent malencontreusement. Ceci explique la raison de la faiblesse de l’argumentation juridique de cette décision.
La juridiction du Conseil Constitutionnel fut créée pour dire le droit et non pour entrer dans la bataille politique.
On peut aller plus loin pour affirmer que la décision du Conseil Constitutionnel est elle-même inconstitutionnelle car contraire aux principes fondamentaux du droit constitutionnel qui consacre la suprématie du peuple souverain représenté par le Parlement qui « fait la loi » au nom du peuple français. Le Conseil Constitutionnel n’a pas à faire la loi.
Notons aussi que dans sa décision le Conseil Constitutionnel s’appuie sur des textes qui consacrent la suprématie du droit européen (supranational) sur le droit national français : en fondement de sa décision le Conseil Constitutionnel invoque clairement ses sources :
- la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale
Il faudra bien un jour que les membres de l’Union Européenne qui n’est aujourd’hui qu’une institution évoluent en précisant leurs pouvoirs par rapport à la souveraineté des États Membres...le sujet sera abordé lors des futures élections du Parlement européen en juin prochain et il l’est déjà actuellement avec la crise agricole.