Les politiques ont l'art de s'enthousiasmer quand une idée semble bonne et cela se termine parfois en catastrophe économique, sanitaire et/ou environnementale ! La lecture de cet article du Monde laisse craindre le pire. Il est vrai qu'en matière agricole nous avons l'habitude...
Les arguments mis en avant sont, hélas, plutôt erronés, qu'on en juge :
- contrairement à ce qui est dit, le procédé restitue à la sortie la même quantité d'azote que celle mise à l'entrée ! La solution consisterait à expédier ailleurs, après un compostage coûteux, hors des zones des élevages intensifs, l'Ouest, vers des zones de grandes cultures, la Beauce, la Brie par exemple.
- C'est très rarement la solution choisie, car là aussi coûteuse ; l'azote reste donc là où on l'a produit !
- hélas, pour ne pas utiliser d'azote minéral (l'ammonitrate), la méthode consiste à utiliser le digestat sous forme liquide après ce qu'on appelle la "séparation de phases" qui permet d'avoir d'un côté un digestat liquide, chargé en nitrate, et de l'autre un digestat solide, chargé en phosphore. Ce digestat liquide présente peu ou prou les mêmes inconvénients que l'azote minéral pour les sols : difficultés d'emploi, risque d'acidification des sols, insuffisance de carbone indispensable pour reconstituer l'humus, risque de lessivage des sols.
- enfin, ces projets, très subventionnés, ne profiteront, pour l'essentiel, qu'aux exploitants les plus aisés seuls en mesure d'obtenir les fonds nécessaires pour des installations valant souvent plusieurs millions d'€.
La méthanisation, industrielle de fait, mélangeant lisiers, cultures, déchets alimentaires, déchets communaux, etc... est une technique faite pour produire de l'énergie, non pour régler les problèmes des surplus de nitrates et de phosphore issus des élevages industriels surnuméraires. La méthanisation "à la ferme", utilisant le fumier produit sur l'exploitation peut être considérée comme plutôt vertueuse, à la condition d'être bien conduite par un exploitant sérieux dans ses pratiques culturales. On est loin de l'analyse du ministre qui a sans doute trop écouté les lobbies...
Localement, sachons séparer le bon grain de l'ivraie : soutenir éventuellement la vraie méthanisation à la ferme menée par des éleveurs bovins "durables" ou Bio et examiner avec prudence les projets industriels rarement respectueux des sols. Et si l'on envisage des projets importants pour aller vers l'autonomie énergétique des territoires, sachons choisir les partenaires et réfléchir aux solutions pour un traitement intelligent des digestats. Ce qui n'est pas simple.
Définitions
La méthanisation (encore appelée digestion anaérobie) est une technologie basée sur la dégradation par des micro-organismes de la matière organique, en conditions contrôlées et en l’absence d’oxygène (réaction en milieu anaérobie, contrairement au compostage qui est une réaction aérobie).Cette dégradation aboutit à la production :
- de biogaz, mélange gazeux saturé en eau à la sortie du digesteur et composé d’environ 50% à 70% de méthane (CH4), de 20% à 50% de gaz carbonique (CO2) et de quelques gaz traces (NH3, N2, H2S).
Le biogaz a un Pouvoir Calorifique Inférieur de 5 à 7 kWh/Nm3. Cette énergie renouvelable peut être utilisée sous différentes formes : combustion pour la production d’électricité et de chaleur,
production d’un carburant.
- d’un produit humide riche en matière organique partiellement stabilisée appelé digestat. Il est généralement envisagé le retour au sol du digestat après (éventuellement ???) une phase de maturation par compostage ;
Le digestat en sortie de méthaniseur est riche en phosphore, azote et potasse : des éléments fertilisants nécessaires pour les culturesmais…voir ADEME Epandage des digestats issus de la méthanisation
A noter que
- le compostage du digestat n'est pas la règle, loin s'en faut. C'est pourtant une des voies qui peut améliorer l'épandage, surtout par rapport à l'utilisation du digestat liquide.
Cela dit, cela ne solutionne pas la question des sols qui perdent année après année leur Matière Organique, cela du fait des pratiques culturales. Ainsi, pour apprécier un projet de méthanisation il faut :
regarder comment les sols sont et vont être traités. En effet si les cultures ou les pailles sont mises dans le substrat, le carbone labile qu'elles contiennent servira à la production du biogaz non à régénérer* les sols en Matière Organique puisque le Carbone aura disparu dans le process et ne sera donc, sauf la partie stable du carbone (10% environ), pas présent dans le digestat final, composté ou non !
- *la production d'humus exige la présence du carbone qui permet à la vie de se développer et donc à la MO de s'incorporer au complexe argilo-humique, et la pompe est amorcé, à l'inverse l'absence de Carbone induit le phénomène inverse...