LA FRANCE IRRÉFORMABLE : UNE FRANCE INGÉRABLE, UN ÉTAT ET DES COLLECTIVITÉS AUX FINANCES EN DIFFICULTÉS
Pour comprendre le drame français économique, social et humain du millefeuille nous jugeons nécessaire de vous livrer en deux, voire trois articles l'intégralité de cette longue analyse parue dans "CONTREPOINTS"
https://www.contrepoints.org/2016/03/08/242023-reforme-territoriale-la-revolution-manquee
RAPPEL DU PROJET INITIAL PORTEUR D'ESPOIRS
ON COMPREND, AVEC CE TEXTE, POURQUOI LES MINISTRES MADAME MARYLISE LEBRANCHU ET MONSIEUR ANDRÉ VALLINI RESPONSABLES DE CETTE RÉFORME ANNONCÉE À GRANDS RENFORTS DE "COM" GOUVERNEMENTALE ONT QUITTÉ LE NAVIRE
LE PROJET :
Disparition des départements, renforcement des régions et des intercommunalités, des métropoles...le train s'est arrêté avant la première gare !
UNE ANALYSE POINTUE D'UNE REFORME QUI N'A RIEN RÉFORMÉ
Sur le principe, réformer l’organisation territoriale française était absolument indispensable, et l’ambition affichée par le Président de la République le 2 juin 2014 était forte : à terme, vers 2020, les conseils généraux (rebaptisés départementaux) devaient disparaître, abandonnant d’ores et déjà un grand nombre de compétences à 13 régions (hors outre-mer) fortes dotées de ressources fiscales « dynamiques », et éléments moteur du développement économique et de l’aménagement des grandes infrastructures territoriales.
Dans le même temps, les intercommunalités devaient grandir, et la liste de leurs compétences obligatoires devait petit à petit réduire les communes participant au rôle de simples « mairies d’arrondissement », ou plutôt de hameau.
Toujours pour clarifier l’action publique, la fameuse CCG, « clause de compétence générale », qui permettait à chaque collectivité de s’autosaisir de n’importe quel sujet, devait être intégralement supprimée.
Enfin, les 12 plus grandes agglomérations de France devaient être transformées en métropoles et récupérer toutes les compétences des départements sur leurs territoires, focalisant les conseils départementaux sur l’action rurale, et dans les villes moyennes
. La région devait donc être le fer de lance d’une action publique renouvelée, avec l’appui de métropoles puissantes susceptibles, de par leur rayonnement national voire global, d’engendrer un effet d’entraînement positif pour l’ensemble des territoires.
UN RESULTAT TRÈS INFÉRIEUR AUX ATTENTES
Alors que les textes de la loi “NOTRe” (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) ont été définitivement adoptés en août 2015, force est de constater que les ambitions du texte initial ont été revues à la baisse.
Les départements, dont de nombreux présidents sont des notables bien implantés, ont engagé un lobbying intensif pour limiter la portée de la réforme.
Plus encore, ni les régions, ni les intercommunalités, ni l’État, n’étaient prêts à reprendre les compétences du département dans le domaine social (essentiellement: versement du RSA et insertion professionnelle des publics en situation difficile, aides au troisième âge, au handicap, à l’enfance en difficulté).
Ces missions représentent la moitié des budgets départementaux, sont en hausse rapide du fait du vieillissement de la population et de la dégradation de l’emploi, n’apportent que peu de bénéfice politique pour beaucoup de coups à prendre, et surtout, ne sont pas correctement financées, plaçant de facto un quart à un tiers des départements en situation de non respect des règles budgétaires des collectivités publiques, façon élégante de dire qu’elles sont placées sous perfusion de l’État.
Qui plus est, les métropoles ne sont pas toutes intéressées par la récupération de certaines compétences départementales…
Et le regroupement de régions et de départements aurait sans doute conduit à aligner les rémunérations de tous les fonctionnaires sur la collectivité d’origine la plus généreuse, ce qui effrayait certains élus régionaux et leurs directeurs financiers. Un compromis bancal fut donc rapidement trouvé, dont la saveur n’a qu’un très lointain rapport avec l’ambition initialement affichée.
Jugez-en :
Les départements sont conservés et confirmés dans leur rôle social et routier. Les communautés de communes sont agrandies (15 000 habitants minimum) mais les maires et les conseils municipaux conservent l’ensemble de leurs prérogatives tant qu’ils ne les ont pas déléguées.
La clause de compétence générale est supprimée, sauf dans les domaines de la culture, des interventions pour la jeunesse, et du tourisme, où tous les échelons pourront continuer à mener chacun leurs politiques.
Dans le domaine de l’éducation, alors que le bon sens eut voulu que des synergies soient trouvées entre Département (qui gèrent la logistique des collèges), la Région (qui gère les Lycées), et l’État (qui administre les universités et continue de gérer les programmes et les personnels enseignants de façon centralisée), la réforme maintient le statu quo.
Les départements négocieront avec les métropoles l’abandon de 4 blocs de compétence à choisir parmi 8 (Collèges, logement social, etc…)
Le principal transfert de compétence du département à la région concerne… l’organisation des transports publics par car (lignes régulières et scolaires), ainsi que les ports fluviaux.
Pire encore, même dans le cas des compétences clarifiées par la fin de la CCG, les doublons restent présents.
Ainsi, en matière de formation professionnelle, la région reste chef de file, mais le département reste en charge de l’insertion des publics au RSA, donc de leur volet formation…
En matière environnementale, la Région est chef de file de l’aménagement du territoire et de politiques environnementales (climat, air, déchets et biodiversité), mais le département reste opérateur en matière de protection des espaces naturels sensibles, et les intercommunalités se voient confier les compétences de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. Et ce ne sont là que deux exemples parmi d’autres.
LES VICES STRUCTURELS DE L'ORGANISATION ANCIENNE N'ONT PAS ÉTÉ RÉFORMÉS
On le voit, la simplification n’est donc que cosmétique.
D’autant plus que dès le départ, le projet gouvernemental ne prévoyait aucun progrès dans d’autres champs de l’organisation territoriale qui, pourtant, auraient eux aussi mérité une mise en examen.
Ainsi, les institutions locales évoluent un peu, mais l’État n’a quant à lui pas prévu de réorganiser sa présence sur le territoire pour tenir compte de la montée en puissance des régions : l’État conservera ses pôles administratifs inchangés sur le territoire (éducation, culture, protection des personnes, santé, affaires sociales et emploi, défense, etc).
De plus, les "fameuses" agences para-ministérielles (Pôle emploi, ADEME, AFFSAPS, CAF, etc…), au nombre de 1244, qui font souvent double emploi avec des services ministériels entiers, et dont l’interaction avec les administrations locales est considérée comme un facteur d’alourdissement des procédures et projets, ne sont absolument pas restructurées par la réforme, alors que la Cour des comptes déplore leur contribution importante à l’explosion de nos dépenses publiques.
De même, de nombreuses instances locales dont la valeur ajoutée est pour le moins discutable, telles que les SAFER dans le milieu agricole, ou les organismes collecteurs agréés dans celui de la formation professionnelle, ne seront absolument pas réformées.
Autant dire que sur le terrain, le nombre d’intervenants à mobiliser pour faire avancer un projet restera élevé, chacun ayant sa logique propre, et sa propre enveloppe financière.
En effet, la loi n’a pas prévu de corriger ce qui reste la première faiblesse de l’organisation territoriale française, la faible responsabilisation fiscale des intervenants. Les communes reçoivent aujourd’hui davantage des deux tiers de leurs budgets via des dotations d’État ou des subventions des échelons supérieurs.
Pour une commune, le Département, la Région ou l’État sont d’abord des tiroirs-caisses qu’il faut savoir actionner pour faire pleuvoir les ressources ! Ainsi, les projets publics les plus contestables se voient financés car chaque échelon n’en apporte qu’une partie et a l’illusion de faire payer le reste du pays… Sauf que comme chaque projet est financé de la même façon, c’est au final toutes les feuilles d’impôts de tous les contribuables qui pâtissent de cette course à la subvention généralisée. On ne voit rien dans la réforme qui puisse faire changer cette donne.
À SUIVRE : ON N'AVANCE PAS...