VOILÀ UNE ÉTUDE QUI PEUT ÉCLAIRER SUR UN SUJET ARDU QUI PÈDERA LONGTEMPS SUR LES FINANCES LOCALES : LES EMPRUNTS DITS TOXIQUES
publié par Michel Albouy dans Contrepoints.org
Enjeu : 14 milliards d'euros pour 1500 collectivités !
"Emprunts toxiques : les élus savaient très bien ce qu’ils faisaient"
Chez lui, le président actuel de la Cour des Comptes Didier MIGAUD s'est fait "piéger"!
Comment et pourquoi les dirigeants des collectivités locales françaises ont-ils souscrit à des emprunts « structurés » dits emprunts toxiques ? .
Les emprunts toxiques, la faute aux banquiers ou aux élus ?
Comment et pourquoi les dirigeants des collectivités locales françaises (communes, métropoles, départements) ont-ils souscrit à des emprunts « structurés » qui sont devenus toxiques ?
Voilà la question qui taraude de nombreux observateurs de la vie publique locale.
Une excellente recherche a été réalisée sur ce sujet par des chercheurs en finance de la Harvard Business School et d’HEC Paris : Christophe Pérignon et Boris Vallée (2015).
Leur recherche relayée par The Conversation France montre que non seulement les élus savaient ce qu’ils faisaient – contrairement à ce qu’ils ont affirmé régulièrement – mais également que « plus les élus savaient, plus ils signaient ».
Des conclusions édifiantes, tant sur le plan des conséquences sur les finances locales, mais également sur le comportement financier des décideurs non payeurs que sont les élus.
L’affaire des emprunts toxiques, dont le montant est évalué à 14 milliards d’euros, concerne quelque 1 500 collectivités ou organismes publics et a généré très nombreux contentieux initiés par des élus cherchant à faire annuler leurs dettes.
LES EMPRUNTS TOXIQUES VUS DU TERRAIN
À partir de notre expérience d’élu local de la métropole de Grenoble (2001-2008) et d’universitaire nous voudrions apporter un témoignage susceptible de conforter les travaux de Pérignon et Vallée, mais également d’apporter un éclairage un peu différent.
En d’autres termes, il s’agit de compléter une étude économétrique sérieuse fondée sur 293 collectivités locales françaises par une étude clinique, que l’on pourrait apparenter à une recherche-action (le chercheur étant également partie prenante de la situation).
Ce faisant, nos conclusions sont légèrement plus nuancées, mais vont dans le même sens.
Oui les banques ont poussé à la signature de ces emprunts structurés avec un excellent marketing ;
oui certains élus devaient comprendre le montage financier vu leur formation ou leur capacité à mobiliser des conseils avisés ;
oui certains élus de petites communes étaient ignorants ;
oui tous y ont trouvé leur intérêt à court terme.
En revanche, tous ne pouvaient prévoir les évolutions des paramètres sur lesquels étaient construits leurs emprunts structurés, par exemple la parité euro/franc suisse.
Ils se sont tous engagés dans des opérations qu’ils considéraient sans risque alors que, bien évidemment, ils mettaient en risque les finances de leurs collectivités.
Ils étaient en fait ignorants malgré eux, mais la souscription à de tels emprunts leur procurait quelques avantages comme nous allons le voir.
Depuis le premier acte de la loi de décentralisation en 1982, les élus locaux disposent d’une grande liberté pour contracter des emprunts sous réserve naturellement d’un vote favorable de leurs conseils ; ce qu’ils obtiennent de fait facilement vu le peu d’intérêt porté par les élus de base (non exécutifs) aux questions financières dès lors qu’elles deviennent techniques comme la souscription d’emprunts nouveaux.
En 2012, le montant des emprunts structurés, devenus toxiques par la suite, s’élevait à 14 milliards d’euros.
Ces emprunts ne doivent pas être confondus avec des crédits à taux variables indexés sur l’Euribor par exemple.
Il s’agit de crédits combinés avec l’équivalent d’un droit d’acheter ou de vendre un titre financier (comme une action, une obligation ou un contrat sur des matières premières). In fine, le taux d’intérêt du crédit va dépendre de l’évolution de différentes variables économiques comme la parité Euro/Franc suisse ou de tout autre indicateur.
Prenons deux exemples pour illustrer notre propos : celui de la Métropole de Grenoble et celui de deux petites communes de cette agglomération.
Le cas de la Métropole de Grenoble
En 2006, la « Métro » a eu un besoin important de financement pour payer les travaux du Stade des Alpes
Madame Geneviève Fioraso, première vice-présidente chargée des finances, a alors proposé au vote le droit de souscrire des emprunts pour un montant total de 120 millions d’euros, dont 40 auprès de la banque Dexia qui se sont révélés toxiques.
Pour expliquer ce montage, la vice-présidente a déclaré en séance du conseil de Métro le 24 novembre 2006 : « On bénéficie de taux bien plus avantageux si l’on négocie une somme globale. Oui, le taux est beaucoup plus intéressant, cela ne veut pas dire que l’on dépense tout ».
La droite et les élus écologistes ont été les seuls à voter contre sans emporter l’adhésion des autres élus qui ont suivi la proposition soutenue par le Président de la Métro, Didier Migaud, devenu depuis président de la Cour des comptes (un élu plutôt donc bien informé en matière de finances).
Les emprunts Dexia qui ont été finalement souscrits pour 25 millions étaient indexés sur un taux de change euro/franc suisse ; en contrepartie de ce risque jugé inexistant par la banque, le taux était un peu inférieur à celui d’un emprunt à taux fixe. À l’époque personne ne pensait que la monnaie européenne, jugée trop forte, pouvait baisser. Il était de bon ton de réclamer alors un euro moins fort, notamment face au dollar pour faciliter nos exportations.
Prenons l’exemple de l’emprunt de la Métro dont la formule de l’évolution des taux est la suivante
Taux fixe = 4,34 % ;
si le taux de change CHF/EUR > 1,45 Taux variable
si le taux de change CHF/EUR < 1,45 ; dans ce cas : Taux = 6,14 % + 65 %* (1,45/CH/EUR – 1)
Par exemple, si la parité CHF/EUR = 1,10, alors le nouveau taux d’intérêt est égal à : 26,82 % Taux = 6,14 % + 20,68 % = 26,82 %
Un taux d’intérêt particulièrement élevé, surtout si on le compare aux taux actuels voisins de zéro.
Jusqu’en 2010, le seuil de déclenchement fixé à 1,45 du rapport de change CHF/EUR n’était pas atteint et tout allait pour le mieux.
Mais, par la suite tout, s’est dégradé quand la parité CHF/EUR est passée sous cette barre entraînant une remontée brutale des taux d’intérêts.
D’une parité de 1,65 au plus haut on est tombé à 1,20 et puis à 1,05 après la décision de la Banque centrale suisse de laisser flotter sa devise.
Aujourd’hui (12/04/2016) la parité est de 1,09 franc suisse pour un euro.
Le cas de la commune de Sassenage est similaire, sauf que son maire ne peut être considéré comme un expert financier.
En 2008, cette commune contracte un emprunt de 4,2 millions d’euros, indexé lui aussi sur la parité Euro/Franc suisse, auprès de Dexia. Avec la chute de l’euro, le taux de 4,9 % est passé en deux ans à 13 %.
En 2014, le montant des intérêts s’élevait à 650 000 euros et pourrait atteindre 900 000 euros aujourd’hui.
Pour casser le contrat, le maire aurait dû rembourser les 4,2 millions d’euros et payer près de 10 millions d’euros de pénalité de remboursement anticipé. Il a préféré aller devant la justice et pour le moment il a suspendu le paiement des intérêts, mais doit les provisionner dans son budget.
Pour sa défense, il invoque « la tromperie » de la banque qui vendait son produit comme étant sans risque car justement lié au franc suisse !
La banque estime que le contrat était très clair et que personne n’était obligé de signer.
Mais pourquoi avoir signé ?
Le maire explique que dans la situation budgétaire dans laquelle il se trouvait, les propositions de la banque étaient intéressantes et qu’il n’avait aucune raison de ne pas faire confiance.
Le maire était-il vraiment au courant des risques financiers qu’il faisait courir à sa commune ?
On peut en douter.
Mais pourquoi ne pas avoir pris davantage de conseils ? Excès de confiance ? Incapacité à imaginer des scénarios catastrophes ?
Ici encore on retrouve l’ignorance des risques pris et les petits calculs budgétaires à court terme.
L’avenir dira ce qu’il adviendra des prêts toxiques consentis à près de 1 500 collectivités locales.
Vu les montants en jeux il sera vraisemblablement difficile d’effacer la totalité de ces dettes au risque de fragiliser un peu plus le secteur bancaire.
Mais, cela est une autre histoire.
En attendant, de nombreux contribuables vont devoir faire les frais des décisions malheureuses de leurs élus.
ÉLUS RESPONSABLES ET COMPÉTENTS ET OU IRRESPONSABLES ET INCOMPÉTENTS
En fin de compte, on peut s’interroger sur l’excès de marges de manœuvres laissées aux responsables des collectivités locales – pas toujours compétents, mais souvent intéressés – et si, d’une certaine façon, la gouvernance de nos collectivités ne devrait pas être revue ?