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12 novembre 2012 1 12 /11 /novembre /2012 21:19
 
  collomb-gerard-61278_n.jpg Gérard Collomb maire de Lyon - discours lors de la commémoration du 11 novembre 2012 
 
           

« L’idée du passé ne prend un sens et ne constitue une valeur que pour l’homme qui se trouve en soi-même une passion de l’avenir. L’histoire donne à l’avenir les moyens d’être pensé ».

Cette réflexion, Paul Valéry la formula aux lendemains de la Première Guerre Mondiale.

Ébranlé par les ravages du conflit, le poète avait perçu très tôt la nécessité de penser le futur des nations d’Europe à l’aune de ce désastre qui avait signé la fin de leur suprématie sur le monde.

94 ans après l’Armistice du 11 novembre 1918, ces mots disent l’importance de notre rassemblement. L’histoire donne à l’avenir les moyens d’être pensé. Elle donne aussi des clés pour comprendre notre présent. C’est pourquoi commémorer en ce jour la fin de la Grande Guerre revêt une portée symbolique puissante.

Nous vivons en effet en Europe une période troublée, profondément marquée par l’incertitude : incertitude face à une crise économique sans précédent qui, peu à peu, menace de faire basculer nos sociétés sur la voie des extrêmes ; incertitude devant des bouleversements géopolitiques d’une ampleur inédite et les changements d’un monde dont notre continent n’est plus l’épicentre ; incertitude quant à ces révolutions, de l’autre côté de la Méditerranée, dont les issues ne cessent d’interroger.

La paix, la démocratie, la prospérité, sont des biens fragiles. Nous le savons en Europe. Nous le savons même davantage qu’ailleurs, nous qui sommes de ce continent qui, par deux fois au siècle passé, s’est déchiré et qui par deux fois au siècle passé, a entraîné avec lui le monde dans le chaos.

Alors qu’approche le jour où nous commémorerons le centième anniversaire de la Première Guerre Mondiale, en un temps où les derniers témoins ont déjà disparu, nous rassembler comme nous le faisons en ce 11 Novembre doit être l’occasion de célébrer nos morts, ceux qui donnèrent leur vie pour la Patrie ; nos morts, tous nos morts, ceux de toutes les guerres.

Mais ce doit être aussi l’occasion d’appréhender un siècle d’histoire européenne, avec ses guerres passées, mais aussi avec les décennies de paix que nous venons de vivre.

Car ce siècle d’histoire a forgé nos consciences. Il a hissé au premier rang de nos valeurs la paix, la tolérance, la fraternité. Il a fait de ces valeurs le socle d’un modèle que nous avons la responsabilité de promouvoir et de faire rayonner.

Ce siècle d’histoire nous a aussi appris à reconnaître les multiples visages des ennemis de la paix. Ennemies de la paix, ces tensions que fait surgir la crise quand le lien fraternel qui doit unir les hommes se dissout sous le poids des difficultés économiques. Ennemis de la paix, la méfiance et le ressentiment qui peuvent alors surgir entre les peuples.

C’est cette méfiance et ce ressentiment qui portent toujours en germe tous les conflits. C’est d’eux que naquit la Grande guerre.

La guerre de 1870 avait laissé de profondes cicatrices avec, du côté français, la perte de l’Alsace-Lorraine vécue comme un outrage. Les conflits coloniaux avaient achevé de tendre les relations, créant des lignes de partage de plus en plus irrémédiables entre ces puissances soucieuses de préserver ce qui était leurs sphères d’influence.

Il suffisait de peu de chose pour que le pire survînt. Et quand, le 28 juin 1914, un nationaliste serbe assassina l’Archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, les nations d’Europe n’eurent qu’à laisser s’épancher leur désir de vengeance, précipitant les unes contre les autres leurs armées, leur jeunesse, leurs élites, épuisant leurs ressources jusqu’à l’extrême limite de leurs forces.

Ce fut cela, la Grande Guerre.

Et les sociétés européennes en connurent bientôt les conséquences funestes. Près de 10 millions de morts, dont près de 1 400 000 pour notre pays. 20 millions de blessés, dont 4 millions en France, avec ce cortège de mutilés, de gueules cassées, marquées à jamais dans leur chair et dans leur âme. Les moyens de production modernes s’étaient soudain mués en autant de moyens de destruction massive et les hommes découvraient avec effroi l’ampleur des ravages causés par l’arsenal des armes modernes.

Ce fut cela, la Grande Guerre.

Passés les premiers mouvements de troupes, elle se figea rapidement en lignes de front continues. Elle s’enterra et la boue des tranchées, le froid, la mort, devinrent le quotidien des soldats. C’est le jeune poète français Louis Krémer qui, trois ans avant de mourir au champ d’honneur, à l’été 1915, décrivait ainsi, dans une lettre à son ami d’enfance, l’horreur qui l’entourait :

« Les cadavres raidis, les cadavres aux mains crispées, aux yeux vitreux, couverts de linges sanglants, d’insectes voraces, assiégés par un remous de vers et de mouches. L’épouvante des hommes frissonnants, sursautant aux vacarmes et aux chocs, terrés au plus profond de leurs abris ou s’efforçant au courage sous la grêle des obus ».

Ce fut cela la Grande Guerre.

Et pourtant, le pire était encore à venir. Parce que la paix fut mal négociée, la Première Guerre Mondiale portait en elle les germes de la Seconde.

Au Traité de Versailles, qui avait mis l’Allemagne à genoux, s’ajoutèrent les conséquences de la Grande dépression. La misère et le sentiment d’humiliation firent alors le lit du nazisme. Ils conduisirent le monde à une seconde conflagration pire encore que celle qui l’avait précédée, avec le drame de la Shoah, l’extermination de 6 millions de Juifs, qui marqua pour notre civilisation un avant et un après.

Ces tragédies européennes, il nous faut les avoir à l’esprit au moment de commémorer le 11 Novembre 1918. Car c’est seulement après que l’indicible eut été atteint que l’Europe parvint à s’engager enfin sur la voie de la paix.

Capable du pire, l’Europe fut alors capable du meilleur, initiant une construction politique sans équivalent dans le monde.

C’est cette construction qu’est venu récompenser le Prix Nobel de la Paix qui vient d’être attribué à l’Union européenne. Cette prestigieuse reconnaissance est venue nous rappeler à tous, – à nous, générations de l’après-guerre, mais aussi à toute notre jeunesse –, l’unicité d’un modèle né sur les décombres de la guerre.

En la décernant à l’Union européenne, le jury du Nobel est venu nous redire qu’il n’est en effet, dans l’histoire, aucun autre exemple d’une telle union de peuples se rapprochant librement dans une perspective de paix, au sein d’une organisation fondée sur le respect des droits de l’homme et des valeurs de liberté, de dignité, de tolérance.

C’est là la récompense d’un processus d’union qui nous a permis, depuis plus de 60 ans, de vivre dans le bonheur de la paix, de la stabilité, de la solidarité.

Mais ce Prix Nobel, s’il est une reconnaissance de l’ampleur du chemin parcouru par le passé, est aussi un appel pour l’avenir.

Car nous vivons la crise la plus grave que notre continent ait jamais connu depuis l’après Seconde Guerre Mondiale.

Chaque jour, nous voyons les conséquences des difficultés économiques sur nos sociétés, le délitement du lien social qu’elles entraînent, la perte de confiance des peuples envers leurs dirigeants et ce corollaire de toutes les grandes crises, la montée des extrémismes et des idéologies qui en appellent au repli sur soi, à la méfiance et à la haine de l’autre. Aujourd’hui, les nationalismes ressurgissent, les partis populistes se nourrissent à nouveau de la misère des peuples.

Pour l’Union européenne, mériter son prix, c’est donc être capable de relever de nouveaux défis.

Il faut rendre confiance aux peuples de l’Europe, être capables de nous unir pour la croissance, le renouveau économique, comme nous nous sommes unis par le passé pour dire non à la guerre. C’est là, aujourd’hui, la condition indispensable pour préserver notre modèle de civilisation fondé sur l’humanisme, la démocratie, la justice sociale.

Oui, je le crois, nous pouvons réinventer l’Europe.

C’est justement parce que nous croyons en l’avenir que ces commémorations ont du sens. C’est parce que nous croyons en l’avenir que nous continuons d’interroger le passé. C’est parce que nous croyons en l’avenir que nous inaugurerons dans quelques jours le nouveau Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation.

Les leçons de la Grande Guerre, celles de Jean Moulin : oui, l’histoire donne à l’avenir les moyens d’être pensé.

Puissent les jeunes générations méditer le prix de la liberté et reprendre le flambeau de la paix que nous leur léguons avec détermination, avec clairvoyance, avec courage.

 

 
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